
Les grandes maisons lorgnent sur la rue. La preuve, à l’instar des marques de streetwear, les maisons de luxe se mettent au drop, modernisant ainsi leur goût pour la rareté et s’autorisant d’avantage de folies.
LA STREET, C’EST CHIC
Vous avez certainement déjà vu ou succombé au drop (que l’on peut traduire littéralement par parachutage ou largage de matériel). Ces capsules, sorties de dernière minute, en quantités très limitées, sont depuis toujours l’apanage des marques de mode, ayant d’abord fait leurs preuves dans le milieu streetwear japonais dans les années 80 avec la marque Goodenough puis avec des labels anglo-saxons au début des années 2000.
Nike, Palace et évidemment Supreme ont participé à faire de ces drops des moments incontournables, où des milliers de personnes sont capables d’attendre durant des heures devant un site ou un magasin pour acheter n’importe quel produit portant les couleurs la marque, allant de la casquette au simple briquet en passant par le ticket de métro et… la brique.
Si la collaboration Louis Vuitton et Supreme avait symbolisé un changement dès 2017, c’est Burberry, dynamisé par l’arrivée de Riccardo Tisci à la tête de la marque, qui s’est mis en octobre dernier au drop en lançant une série de pièces disponibles uniquement durant 24 heures. Inutile d’attendre aussi longtemps, les articles étaient en rupture de stock en seulement quelques heures.
Forte de ce succès, la marque anglaise a annoncé qu’elle sortirait dorénavant une nouvelle collection tous les 17 du mois, lorsque Big Ben sonne midi à Londres, annoncée sur Instagram et WeChat.
FAST FASHION : UNE NOUVELLE TEMPORALITÉ POUR LES MARQUES.
Cette distribution en séries de « drop » crée une toute nouvelle temporalité pour les marques qui fonctionnaient traditionnellement au rythme des saisons : deux grandes momentums dans l’année avec une collection printemps / été et une collection automne/hiver.
Ce nouveau tempo de sorties effrénées se calque sur un rythme de la mode qui s’est largement accéléré ces dernières années, sous l’influence notamment de marques n’hésitant pas à sortir de nouvelles pièces toutes les semaines, contribuant à créer le phénomène critiqué de « fast fashion ».
H&M, Zara ou ASOS ont ainsi largement habitué une génération à être sans cesse envahi de nouveautés et créer ainsi un univers où les modes se font et défont au fil des semaines plutôt que des années.
Un rythme qui impose aux maisons de s’adapter à tous les niveaux : la communication devient immédiate avec les réseaux sociaux, la production se flexibilise, les temps de conception des nouvelles collections se resserrent, les nouveaux partenaires pour l’approvisionnement se multiplient.
Une accélération qui doit se faire sans altérer le niveau de qualité : tout un défi.
LE DROP POUR TESTER UN PRODUIT SANS RISQUE.
Éditions ultra-limitées, arrivages séquencés, sorties imprévisibles : tous les coups sont bons pour susciter l’envie, créer le manque et limiter les risques.
C’est l’occasion de tester le succès de pièces inédites avant de lancer leur production en série et ainsi éviter de prendre le risque d’acquérir du stock ou ne pas trouver son marché.
Mais au-delà de pouvoir tester un produit, c’est aussi la viralité associée au drop qui est particulièrement intéressante : la rareté des produits favorise les partages sur les réseaux sociaux et donc la génération de « bruit » et de contenus autour des pièces, sans aucun investissement publicitaire nécessaire de la part des marques.
FÉDÉRER UNE COMMUNAUTÉ AUTOUR DE SA MARQUE.
Affirmer que l’offre est inférieure à la demande est terriblement efficace. La rareté donne de la valeur au produit et permet de constituer une communauté d’« initiés » autour de la marque, un cercle de clients convaincus et même ambassadeurs.
C’est cette frénésie qui permet à une collection de valises vendues 1600 dollars pièce d’être sold out en 16 secondes.
Cette rareté contribue à « mythifier » le produit, à lui donner de la valeur et un supplément d’âme qu’il n’aurait pas nécessairement eu dans un lancement classique.
Autrefois réservé à quelques marques confidentielles, le drop est aujourd’hui une technique applicable par tous. Car comme l’écrit si bien Lawrence Schlossman en préface du beau livre Drop : « La contre-culture est maintenant la culture. »