
« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire.»
Si il y a bien une citation que l’on voit partout depuis quelques mois c’est bien celle-ci. Et c’est à elle que je pensais lorsque j’ai décidé de contacter RAP (Résistance à l’Agression Publicitaire) pour avoir leur vision de la publicité actuelle, essayer de trouver un terrain d’entente et leur demander leur campagne préférée (heureusement que je cours vite).
Attention, âmes sensibles s’abstenir : si vous aimez les campagnes d’affichages, de bannières ou les films publicitaires, vous allez passer un mauvais quart d’heure.

INTERVIEW AVEC THOMAS BOURGENOT (RAP)
Mettons les choses au clair dès le départ… Toute la publicité est condamnable par nature ?
Notre association ne lutte pas contre la publicité, fait de rendre publique une information, mais bien contre l’agression publicitaire. Nous militons pour une information commerciale honnête et respectueuse de la liberté de réception des individus.
Par “honnête” nous entendons une publicité qui informe sur les qualités du produit, son prix et les lieux où l’on peut le trouver. Et si en plus, elle peut nous informer sur les conditions sociales et environnementales dans lesquelles ce produit est confectionné, c’est encore mieux.
On ne pourra pas défendre une publicité qui joue sur la confusion entre les qualités du produit et celles du sportif ou de la célébrité qui accepte de les vanter. Pas plus qu’on ne pourra défendre une publicité qui nous fait croire qu’une marque a des valeurs (jeunesse pour de l’eau en bouteille, liberté pour du prêt à porter sportif, sérénité pour des cigarettes…). Ces procédés sont manipulateurs et donc à proscrire.
Par “respectueuse de la liberté de réception”, nous entendons une publicité qui laisse le choix à l’individu d’aller vers l’information de manière active et non de manière passive comme on le voit actuellement. L’annuaire, par exemple, délivre une information commerciale qui respecte ces principes.
De même dans l’espace public, nous demandons à ce que les formats soient réduits à 50×70 cm pour que les citoyens s’approchent de l’affiche pour la lire. Ce geste montre le consentement de l’individu à recevoir le message.
Tant que de telles mesures ne seront pas prises, la publicité sera intrusive et non sollicitée donc condamnable.
En dix ans, comment la publicité a-t-elle évolué selon vous ?
Malgré les déclarations de certains politiques qui semblaient vouloir « remettre la publicité à sa place », force est de constater que la publicité a accentué sa présence dans tous les espaces, publics et médiatiques, tout en étant de plus en plus intrusive.
En affichage extérieur, les formats encollés classiques sont remplacés progressivement par des formats déroulants et éclairés, ce qui attire plus le regard et respecte donc encore un peu moins la liberté de réception du message. Ce processus atteint son paroxysme avec la possibilité d’installer des panneaux numériques lumineux et animés, panneaux munis de capteurs d’audience capable d’analyser les profils des individus qui passent devant.
Sur Internet, les bannières continuent à surgir et ne se contentent plus d’afficher des images mais aussi des vidéos. La traque publicitaire pour créer des profils d’internautes afin de cibler les annonces reste un problème pour les données personnelles et n’a pas l’air d’inquiéter plus que ça nos élus…
Malgré l’interdiction de messages non sollicités, plus de 90% des messages envoyés dans nos boîtes aux lettres électroniques sont des pourriels.
Nos boîtes aux lettres reçoivent toujours plus de 30 kilos de prospectus non adressés par an, malgré la multiplication des autocollants « Stopub » qui n’ont toujours pas de force légale et que les distributeurs peuvent ignorer en toute impunité.
Les démarcheurs téléphoniques eux, continuent de nous harceler malgré les listes anti-prospection…
Vos actions se cantonnent le plus souvent à la publicité dite traditionnelle, le numérique serait donc plus respectueux des individus et de la société ?
C’est vrai que les collectifs anti-pubs se concentrent beaucoup sur l’affichage extérieur puisque c’est le seul média que l’on ne peut éviter. On peut ne pas avoir de télévision, ne pas lire des magasines ou des journaux remplis de publicités, choisir des médias sans publicités, mais on ne peut pas marcher dans l’espace public sans voir de messages commerciaux.

Pourtant, notre association est généraliste et ne se concentre pas que sur l’affichage, mais sur tous les supports.
Si vous entendez par numérique la publicité sur internet, cette dernière n’est pas plus respectueuse que les affiches extérieures puisqu’il y a une surveillance publicitaire des internautes. Notre association a d’ailleurs créé le site Surfez Couvert pour donner des outils pour se prémunir contre la publicité et les cookies.
Par contre, si vous entendez par numérique les écrans publicitaires dans l’espace public, ces derniers sont ce qui se fait de pire en termes de liberté de réception. Des chercheurs en sciences cognitives et sociales expliquent que cette technologie exploite le fait que toute image en mouvement dans la périphérie du champ visuel capture automatiquement l’attention de l’individu. Cette réaction automatique s’accompagne d’une augmentation du niveau d’alerte et de stress qui favorise la mémorisation du message.
Vous estimez que la Ville de Paris et JCDecaux transforment « le temps d’attente du bus en temps de cerveau humain disponible ». Et quand la publicité se met au service des citoyens à l’image de la campagne Smarter Cities d’IBM ?
Nous n’estimons rien. C’est bien JCDecaux qui vend des « occasions de voir » des publicités à ses clients, les annonceurs. Les personnes qui prennent le bus n’ont pas le choix. Elles doivent se déplacer. C’est donc une audience captive que JCDecaux vend sans avoir demandé le consentement de ces « cibles ».
IBM au service des citoyens, ça a l’air beau dit comme ça. La « ville intelligente » a l’air d’être un peu plus un moyen de surveiller au plus près les comportements des individus, je suis donc quelque peu sceptique sur le service apporté aux citoyens.
Plusieurs candidats à la mairie de Paris souhaitaient limiter la place de la publicité dans la capitale. Danielle Simonnet (candidate FDG) veut même aller jusqu’à sa disparition. Les politiques vont bientôt prendre votre place !
À la différence des annonceurs, nous ne souhaitons pas avoir le monopole de la parole dans l’espace public sur un sujet donné. Nous sommes donc ravis que nos revendications soient reprises par les politiques. Malheureusement, par expérience, nous savons qu’il est très difficile de réformer la publicité tant les différents groupes de pression sont proches du pouvoir. Nous attendrons donc un peu de voir des résultats avant de crier victoire.
Vous est-il déjà arrivé de discuter avec les agences ou les annonceurs afin d’essayer de trouver un terrain d’entente ?
Les agences et les annonceurs ne sont pas des interlocuteurs privilégiés pour nous. D’une part, je pense que nous ne parlons pas le même langage : ils parlent de digital alors que nous ne comprenons que le numérique, et nous parlons de liberté de réception quand ils ne voient que leur liberté d’expression — tant qu’ils en ont le monopole évidemment -. Doit-on rappeler que la liberté d’expression défendue par la Constitution est celle de nos idéaux politiques, religieux, moraux et en aucun cas la liberté de faire de la propagande commerciale ? Il ne faut pas tout mélanger et il est fondamental d’éviter cette dégradante confusion dans les termes.
D’autre part, nous voulons changer le cadre législatif que les annonceurs et les agences, nous en sommes persuadés, respecteront, étant donné le respect qu’ils montrent du cadre actuel. Nos interlocuteurs privilégiés sont donc plutôt les législateurs.
Terminons sur une note positive, je suis sûr qu’il y a bien une campagne qui vous a plu récemment…
J’ai bien réussi à trouver le cordonnier dont j’avais besoin dans l’annuaire quand je le cherchais, effectivement.